Contribution personnelle au rapport de la Mission parlementaire sur les alternatives aux phytopharmaceutiques.

      Commentaires fermés sur Contribution personnelle au rapport de la Mission parlementaire sur les alternatives aux phytopharmaceutiques.

Elisabeth Toutut-Picard a tenu à rédiger une contribution personnelle annexée au rapport relatif à Mission parlementaire sur les alternatives aux phytopharmaceutiques que vous trouverez ci-dessous:

Contribution d’Elisabeth Toutut-Picard

En complément du travail sérieux et détaillé des rédacteurs de ce rapport, j’ai tenu à m’exprimer à titre tout à fait personnel sur ma propre perception de la problématique des phytopharmaceutiques.

Cette modeste contribution d’élue soucieuse de défendre l’intérêt général a pour objet de partager quelques réflexions et proposer plusieurs démarches volontaristes.

Mon analyse de la situation

L’opinion publique attend, légitimement, un positionnement simple et ferme des pouvoirs politiques …sur un sujet qui est particulièrement complexe et ne peut se régler avec des réponses univoques.

Par-delà la problématique même des phytopharmaceutiques, c’est en effet notre système agricole tout entier qui est interpellé et plus précisément sa capacité à répondre aux nombreuses attentes, parfois antinomiques mais fort compréhensibles, de la population, attentes tout à la fois sanitaires, environnementales et économiques.

A l’origine, c’est pour assurer la couverture des besoins alimentaires, mais aussi pour moderniser une agriculture alors encore très familiale que les décideurs français et européens de l’après- guerre ont choisi d’ »industrialiser » l’agriculture française dans le cadre de la PAC.

Dans cet objectif de rentabilisation et dans un contexte de concurrence commerciale mondialisée, les produits phytopharmaceutiques et plus particulièrement le glyphosate et ses dérivés, ont joué un rôle déterminant … économiquement très efficace.

L’agriculture est ainsi devenue l’un des piliers les plus importants de notre balance des échanges commerciaux.

Mais les impacts négatifs de ce recours intensif à la chimie ont été mal identifiés, voire notablement sous-estimés et les interrogations s’accumulent aujourd’hui sur notre environnement quotidien : qualité de la nourriture, de l’air, de l’eau, des sols cultivés, impacts du dérèglement climatique …

Les pratiques agricoles sont les premières à être questionnées dans un climat de suspicion chez les riverains et consommateurs, et de mauvaise conscience et de découragement chez les producteurs.

Toutes les nombreuses parties prenantes du monde agricole s’accordent désormais à reconnaitre les dommages collatéraux, sanitaires et environnementaux de ces choix.

Elles affichent leur volonté de reconsidérer des pratiques agricoles qui contribuent, dans le maelstrom des nombreuses pollutions anthropiques auxquelles la population est exposée, à la dégradation des écosystèmes naturels et à la mise en danger de la santé publique.

Pour ma part, après avoir lu et entendu de nombreux témoignages au cours de la mission, je me suis forgé une intime conviction : nous devons nous mobiliser et agir rapidement pour nous sevrer des phytopharmaceutiques et construire un nouveau modèle agricole respectueux de la vie sous toutes ses formes.

Nous devons retrouver les grands équilibres de la terre et rétablir les échanges chimiques naturels des écosystèmes.

Une fois cette position affirmée, il reste à définir les modalités d’action.

Peut-on tout d’abord prôner « un grand soir  » des pesticides et exiger l’arrêt immédiat du recours à la chimie ?

Malgré l’urgence et la motivation à agir rapidement, force est de constater que ce type d’hypothèse « révolutionnaire » est difficilement réalisable.

La couverture des besoins alimentaires doit en effet continuer à être assurée sans rupture d’approvisionnement ; par ailleurs notre modèle agricole est tellement dépendant des pesticides qu’il ne pourrait affronter un sevrage brutal qui mettrait en péril la survie économique des producteurs eux-mêmes.

L’expérience montre notamment qu’il faut entre trois et cinq ans pour qu’une exploitation agricole, qui fonctionnait sur un mode conventionnel recourant aux pesticides, puisse techniquement passer en culture biologique.

Il nous faut donc composer avec notre impatience et tout en restant fermes sur l’objectif du sevrage, œuvrer avec opiniâtreté et pertinence à faire évoluer les pratiques.

C’est techniquement possible …et d’ores et déjà avéré.

Des exploitations agricoles fonctionnent déjà avec des pratiques respectueuses de l’environnement et de la santé avec des résultats économiques parfois plus probants que ceux des agricultures conventionnelles.

Restent à définir les échéances et les engagements contractuels à imposer aux différents acteurs de la longue chaine du secteur agricole.

Dans cet ordre d’idées, le président de la République a défini des objectifs précis pour la sortie de l’herbicide le plus utilisé en France et en Europe, le glyphosate : sortie en trois ans, avec modulations dans la mise en application de l’objectif.

Personnellement j’adhère entièrement à cet objectif, car il a déjà le grand mérite d’être posé.

Il est indispensable en effet de fixer des limites temporelles et de ne pas laisser « filer le temps ».

Nous ne devons pas perdre de vue l’objectif final d’assainissement de nos sols et de verdissement de nos pratiques.

Les mesures urgentes : l’interdiction de certains produits et usages

Dans un premier temps, certaines mesures de protection de la population doivent être prises en urgence.

Si certains produits identifiés comme toxiques, voire catalogués CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques), ont été retirés en urgence des circuits de vente, d’autres produits phytopharmaceutiques (PPP), pourtant officiellement considérés comme dangereux, continuent à être autorisés et utilisés.

Le rapport IGAS de décembre 2017 a désigné ces produits, qu’il faudrait immédiatement sortir du commerce. Nous devrions commencer a minima par prendre cette mesure, sans attendre le résultat de nouvelles études.

Nous devons anticiper les problèmes de santé publique qui peuvent se transformer en crises sanitaires chroniques, comme c’est le cas aux Antilles avec le chlordécone, substance chimique utilisé dans les bananeraies, qui a pollué en 2008 et pollue toujours les sols, les eaux des rivières et les nappes phréatiques, contaminant certaines denrées alimentaires. Au-delà des exploitations agricoles, c’est toute la population qui a été touchée par cette pollution.

L’interdiction immédiate de l’utilisation du glyphosate pour la dessiccation des plantes, pratique qui consiste à projeter le produit directement sur la plante afin d’en accélérer la croissance, est indispensable afin de prémunir les consommateurs du risque de retrouver des traces du glyphosate dans leurs aliments.

Des démarches à engager au niveau national et européen

La surveillance de la santé publique

Nous devons commencer par protéger la population la plus exposée aux PPP, la population agricole.

Des études sérieuses ont établi un lien de causalité entre exposition aux PPP et certains cancers et pathologies neurologiques particuliers au monde agricole (Parkinson, certains types de leucémies).

Par ailleurs le tableau des maladies reconnues professionnelles est compliqué, et les démarches déclaratives décourageantes ; les indemnisations des victimes des PPP sont, qui plus est, variables d’un département à l’autre.

Il conviendrait ainsi d’assurer un meilleur suivi sanitaire des chefs d’exploitations agricoles et de leurs familles qui, à l’inverse de leurs salariés, ne sont pas tenus de passer une visite médicale (car relevant de la catégorie des professions indépendantes). La connaissance de l’épidémiologie propre à cette profession serait ainsi améliorée.

Il me paraît aussi indispensable de revoir le fonctionnement de la médecine du travail de la MSA et d’envisager un parcours-patient spécifique aux agriculteurs. Une meilleure coordination entre services de la MSA et médecins généralistes de famille, plus aisément consultés que les médecins du travail, permettrait non seulement de renforcer le maillage de la prise en charge sanitaire, mais aussi d’enrichir par la même occasion les bases de données épidémiologiques relatives à cette profession, d’assurer également une meilleure prévention en ciblant le conseil et l’accompagnement technique des utilisateurs de produits PPP, et enfin d’organiser une indemnisation équitable des victimes.

Dans le rapport de la mission, il est fait mention du conseil donné aux populations vulnérables, femmes enceintes, enfants, personnes âgées, de se tenir à distance des PPP lors de leur épandage. Peut-être conviendrait-il de systématiser ce message préventif et de l’intégrer dans la liste des mesures sanitaires prévues dans le plan national Santé-Environnement ?

La question du suivi de la qualité de l’air me paraît aussi primordiale. Les agences de surveillance de la qualité de l’air assurent actuellement un suivi qualitatif et quantitatif des particules fines présentes dans l’air, mais elles n’ont pas reçu la mission de s’intéresser à la présence des PPP. Il conviendrait de lancer une telle démarche et de définir comme c’est le cas pour les particules fines, des valeurs de référence des PPP dans l’air respiré.

D’autres travaux universitaires ont également mis en évidence l’effet mutagène et reprotoxique de certains perturbateurs endocriniens contenus dans les pesticides.

L’exposition à ces produits pendant la grossesse peut entraîner des malformations urogénitales et réduire la fertilité masculine.

Les impacts sanitaires des PPP et des perturbateurs endocriniens sur la santé publique devraient à mon sens être intégrés dans les objectifs de prévention des plans Santé-Environnement nationaux et régionaux.

Le développement des alternatives

Les techniques alternatives existent ; le rapport de la MIC en a fait une description détaillée en précisant les avantages et inconvénients de chacune d’entre elles. Ces pratiques agricoles se présentent sur un continuum allant des méthodes dites conventionnelles (qui continuent à recourir à un usage intensif de PPP) jusqu’aux techniques de l’agriculture biologique qui interdisent tout recours aux intrants chimiques.

Même s’il n’est pas adapté à tous les types de cultures ni à tous les climats, et qu’il soulève lui aussi quelques interrogations, le modèle de la filière biologique demeure celui vers lequel il conviendrait globalement de tendre. Ce type d’agriculture ne se présente plus comme une niche conjoncturelle, mais comme un vrai débouché pérenne, répondant à une demande de la population. Mais sans un accompagnement humain, technique et financier, la transition du modèle conventionnel vers le modèle biologique (qui requiert un temps d’adaptation de trois à cinq ans) ne pourra guère être effective.

Des modèles de cultures alternatives agroécologiques (semis direct, couverture et conservation des sols) constituent des solutions à privilégier, même si elles recourent, pour certaines d’entre elles, à un apport résiduel de glyphosate en intersaisons.

Autant de solutions pour chacune des grandes filières de production (céréales, viticulture, filières fruits et légumes, élevage), mais aussi autant de solutions selon les terroirs, la qualité des sols, les configurations géographiques et les pédoclimats.

Il n’y a pas de solution unique applicable à toutes les régions françaises. La France est le seul pays d’Europe qui présente une telle palette de tous les climats européens et de toutes les pratiques culturales européennes. Cette diversité en fait sa richesse et sa complexité.

L’accompagnement à la transition : la question de la gouvernance

La contractualisation, système à la fois contraignant et ouvert, permettrait aux producteurs de s’engager dans une démarche vertueuse tout en ayant une visibilité parfaite sur leurs ressources. Il me semblerait notamment intéressant d’associer le versement des financements de la PAC à la conditionnalité du “verdissement” des pratiques culturales, en le proportionnant au chiffre d’affaires de chaque exploitation agricole engagée dans le processus d’évolution. La démarche que je propose consisterait ainsi à passer un “contrat d’objectifs et de moyens” avec chaque producteur et éleveur.

Il conviendrait au préalable d’établir une cartographie des pratiques culturales et des consommations de PPP. Ces données existent déjà, détenues les unes par les DDT, les autres par les coopératives et les producteurs eux-mêmes. Il suffirait de les superposer et de passer ensuite à l’étape de contractualisation pluriannuelle. Les objectifs à définir porteraient sur des pourcentages précis de réduction des PPP, sur la planification pluriannuelle de ce “sevrage” et une date limite de sortie définitive. Ils pourraient également intégrer des réorientations de pratiques culturales (par exemple la reconversion vers un modèle combinant la polyculture et l’élevage, notamment dans les zones de maraîchage et dans les terres pentues).

Les moyens seraient octroyés à l’échelle régionale ou intrarégionale en fonction de la pertinence de l’un ou de l’autre niveau de gestion, les régions étant parfois hétérogènes et trop étendues pour être aisément appréhendables ; il faut un niveau de territorialité significatif et cohérent pour que le dispositif colle avec la diversité des terroirs. Ces moyens seraient définis à partir d’un bilan personnalisé réalisé par les conseillers techniques rattachés aux chambres d’agriculture ou par des conseillers techniques indépendants et assermentés. Le réseau des fermes Dephy et le dispositif Ecophyto pourraient être associés à la démarche, ainsi que les associations d’agriculteurs et les agences, unités de recherche et lycées agricoles. Dans un premier temps, des régions volontaires pourraient expérimenter ce mode de management participatif et contractuel et tester la faisabilité d’un tel modèle. La mobilisation de toutes les forces vives de l’agriculture autour des piliers régionaux ou intrarégionaux, des services déconcentrés de l’État et des collectivités territoriales permettrait de porter cette dynamique et d’accélérer la mutation agricole.

La transition agricole doit être portée et mise en action avec la collaboration directe, me semble-t-il, des agriculteurs eux-mêmes. Pourquoi ne pas organiser des états généraux par territoires agricoles, et définir pour chacun d’eux un modèle de mutation spécifique ?

Poursuivre la discussion au niveau européen

Les avis divergents des agences (nationales, européennes, internationales), sur le caractère cancérigène (ou non) du glyphosate ont semé le doute sur la validité de la parole scientifique.

D’autant que ces agences ne mesurent pas toutes la même chose : les agences européennes évaluent la toxicité des substances actives sur l’être humain, alors que les agences nationales donnent une autorisation de mise sur le marché à des produits qui contiennent ces substances actives, mais aussi des adjuvants qui peuvent rendre le mélange plus toxique.

En outre, ces avis sont donnés sur la base de productions et sources d’information scientifiques et techniques partiellement non communicables, car protégées par le droit à la confidentialité sur les processus de fabrication et la composition des produits.

Enfin, les impacts environnementaux de ces substances ne sont jamais étudiés par les agences européennes et encore moins les effets cocktails des surexpositions aux perturbateurs endocriniens (PE) et autres produits classés CMR, effet cumulatif difficilement évaluable en raison de la complexité de l’approche méthodologique.

Bien sûr, la France peut avoir recours à la clause de sauvegarde à l’encontre d’une molécule si elle considère urgent de prendre une mesure protectrice pour sa population.

Mais le gouvernement français doit aussi poursuivre la discussion avec les autorités européennes sur la manière d’évaluer la toxicité des produits. Il est nécessaire d’exiger de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), une plus grande transparence des démarches et documents servant de base à ses avis. Il faudrait aussi solliciter l’intégration, dans le processus d’évaluation des substances chimiques, de l’évaluation des impacts environnementaux des PPP et de démarches d’identification et d’analyse des impacts sanitaires de l’effet cocktail des surexpositions aux PPP et PE.

Il faudrait aussi remettre à plat et réactualiser les normes européennes, en particulier les limites maximales de résidus (LMR, seuils règlementaires de concentration de résidus de produits pesticides, biocides ou de médicaments vétérinaires légalement autorisés dans ou sur les denrées alimentaires), et la dose journalière admissible (DJA, considérée comme la quantité d’une substance chimique qu’un individu moyen de 60 kg peut théoriquement ingérer quotidiennement sans risque pour sa santé).

L’harmonisation des référentiels commerciaux européens est aussi nécessaire, afin de lutter contre la concurrence déloyale des produits agricoles ne répondant pas aux mêmes exigences sanitaires et environnementales que celles imposées en France. Elle passerait par la définition et l’adoption d’un cahier des charges communautaire précisant les modalités de production (plus ou moins vertueuses), la redéfinition d’un label “bio” réellement homogénéisé à l’échelle européenne et une campagne d’information auprès des consommateurs européens sur les critères de qualité des produits alimentaires

Je propose enfin la création d’un groupe d’experts intergouvernemental sur les substances toxiques, sur le modèle du GIEC climat. La constitution de ce groupe de scientifiques internationaux favoriserait le partage des connaissances scientifiques sur les risques toxicologiques, élaborerait un bilan des pratiques agricoles planétaires et permettrait la définition de repères normatifs et consensuels d’exposition aux PPP reconnus au niveau mondial.

Ce texte, limité en nombre de caractères, est un résumé de ma contribution, disponible en intégralité sur http://www.elisabeth-toutut-picard.fr/