Audition de Dominique Libault par la commission des affaires sociales – mercredi 10 avril 2019.

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Mercredi 10 avril 2019, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a auditionné Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale, sur son rapport issu de la concertation sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes, remis à la ministre des solidarités et de la santé le 28 mars dernier.

Le 17 septembre 2018, le Premier ministre a demandé à M. Libault de conduire une concertation et de faire des propositions de réforme sur la prise en charge de la dépendance, notamment dans la perspective d’un projet de loi. Il lui a été demandé « d’examiner les évolutions à apporter aux différentes modalités de prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie, qu’il s’agisse des structures d’accueil ou des services favorisant le maintien à domicile, y compris les nouvelles formes de logement ou d’hébergement. » Outre l’amélioration de la prévention de la dépendance, du soin et de l’accompagnement des personnes, la mission aborde les modalités de financement de la dépendance au regard des perspectives financières de la dépense à l’horizon 2040, en intégrant dans ce diagnostic : l’évaluation des besoins, la question de l’accessibilité financière, des restes à charge et de l’efficience des dispositifs financés. La mission porte enfin sur la répartition des rôles et responsabilités dans le pilotage de cette politique publique.

Dans le cadre de cette mission, une vaste concertation nationale « Grand âge et autonomie » a été lancée le 1er octobre 2018 par la ministre des solidarités et de la santé. Cette concertation s’est achevée en février 2019. Elle a mobilisé 10 ateliers nationaux et 5 forums régionaux, une consultation citoyenne ayant recueilli plus de 1,7 million de votes pour 414 000 participants, 100 rencontres bilatérales et des groupes d’expression de personnes âgées, professionnels et aidants ont également été mis en place.

Le rapport fait d’abord plusieurs constats :

– la population française vieillit : la part des 75 ans ou plus est passé de 6,6 % en 1990 à 9,1 % en 2015 soit une hausse de 2,5 points en 25 ans. En 2040, 14,6 % des Français auront 75 ans ou plus soit une hausse de 5,5 points en 25 ans.

– La probabilité de connaître une perte d’autonomie en vieillissant est forte : sur 10 personnes qui décèdent en France, 4 ont connu une perte d’autonomie dont 2 de façon sévère et 3 ont vécu leurs derniers jours en établissement. Le rapport conclut que « la perte d’autonomie est donc incontestablement un risque social. Le couvrir fait écho à la philosophie de notre système de protection sociale : donner aujourd’hui et recevoir lorsque le risque survient ». Il propose d’ailleurs d’intégrer le risque de perte d’autonomie dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS). Du fait de la démographie, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie va inéluctablement s’accroître, même si les progrès de la médecine, les efforts de prévention et l’amélioration des conditions de vie peuvent contribuer à faire diminuer les taux de prévalence. La France devrait ainsi compter environ 20 000 personnes âgées en perte d’autonomie de plus chaque année d’ici 2030. Entre 2030 et 2040, le rythme s’accélérerait avec une hausse annuelle moyenne de l’ordre de 40 000. Par rapport aux autres pays d’Europe, l’espérance de vie des Français est parmi les plus élevées, mais ce n’est pas le cas de l’espérance de vie en bonne santé : à 65 ans, une femme française peut espérer vivre encore près de 23,7 ans mais 10,6 en bonne santé contre 16,6 en Suède et 12,4 en Allemagne ou 11,9 au Danemark. Il convient donc de mieux prévenir la perte d’autonomie.

– Depuis 10 ans, le nombre de places en EHPAD a fortement augmenté : en 2017 la France compte près de 590 000 lits contre 500 000 en 2009. 21% des personnes de plus de 85 ans vivent en institution en France. Sur le plan européen, la France fait partie des pays où ce taux d’institutionnalisation est le plus élevé avec la Belgique (21 %), les Pays-Bas (20 %) et l’Allemagne (19 %). À l’inverse, il est sensiblement plus faible dans les pays du Nord de l’Europe (Suède 14 %, Danemark 11 %, Finlande 8 %, Royaume-Uni 16 %), du Sud (Italie 5 %, Espagne 8 %) ou de l’Est (Pologne 3 %, République Tchèque 12 %, Hongrie 11 %).

Le nombre de personnels s’y est accru avec un taux d’encadrement qui est passé entre 2007 et en 2015 de 57 à 63 équivalents temps plein (ETP) pour 100 résidents. Mais cette hausse quantitative ne semble pas suffisante pour répondre à l’enjeu, en particulier parce que les résidents sont de moins en moins autonomes. 23 % des EHPAD n’ont pas été rénovés depuis plus de 25 ans. Les restes à charge sont aussi élevés : autour de 1 800 € par mois en moyenne. Du fait de leur patrimoine, environ 3 résidents sur 4 ont les moyens de faire face à ce coût pour une durée d’au moins 6 ans. Le système de prise en charge financière est toutefois jugé injuste par le rapport : les personnes gagnant entre 1 000 et 1 600 € par mois sont en effet les moins subventionnées alors même que leurs ressources sont réduites.

– L’offre à domicile est nombreuse, mais atomisée et économiquement fragile. 7 000 services sont autorisés en France, dont 1 600 tarifés. Les structures de coût varient selon les différentes conventions collectives dont dépendent les services. Le mode de tarification des services, à l’heure actuelle, ne permet pas de financer les indispensables temps de coordination et de formation.

– il existe des disparités territoriales sur les prestations : concernant l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), ces disparités entre les départements existent dès l’éligibilité et peuvent également concerner l’évaluation de la situation et des besoins des bénéficiaires, les modes de gestion, les règles de tarification et les montants. La Cour des comptes a notamment identifié des montants allant du simple au double d’un département à l’autre. La médiane des tarifs dépendance des établissements, fixés par les conseils départementaux s’établit en 2016 à 5,5 €/jour pour les GIR 5-6, 13 €/jour pour les GIR 3-4 et 20,4 €/jour pour les GIR 1-2. Mais ils varient de plus ou moins 20 % autour de ces valeurs selon les départements. Enfin, concernant l’Aide sociale à l’hébergement (ASH), le barème, les dépenses prises en compte, le degré de filiation et les modalités de récupération sur succession retenues varient substantiellement selon les départements. A titre d’exemple en 2014, 72 % des départements déduisent systématiquement les frais de mutuelle de la participation financière des bénéficiaires de l’ASH, environ la moitié des prélèvements sociaux et des frais d’assurance pour conserver un reste à vivre suffisant aux personnes âgées.  La totalité des départements ont systématiquement recours aux enfants, gendres et belles-filles dans le cadre de l’obligation alimentaire, mais 27 % ont recours systématiquement aux petits-enfants, 20 % parfois et 53 % jamais.

La concertation a estimé qu’environ 830 000 ETP travaillaient dans le champ de la perte d’autonomie du grand âge (dont 430 000 ETP en établissement). Du fait de la démographie, ce nombre devrait augmenter d’environ 20 % d’ici 2030, en l’état actuel de l’offre. 77 % des employeurs éprouvent des difficultés de recrutement et 89 % des salariés sont en temps partiels. En 2014, les dépenses publiques en faveur du grand âge représentaient 23,7 Mds € soit 1,1 % de la richesse nationale. Grâce aux réformes récentes, cette part aurait grimpé à 1,2 % en 2018 selon les travaux de la concertation. La France dépense plus que les pays du Nord de l’Europe en matière de santé et de retraite, mais pas en matière de perte d’autonomie. Les dépenses de soins de longue durée, qui recoupent largement les dépenses relatives à la perte d’autonomie, sont de 3,7 % du PIB aux Pays-Bas, de 3,2 % en Suède et de 2,5 % au Danemark. 80 % de la dépense relative au grand âge est d’ores et déjà prise en charge par la solidarité nationale.

Le rapport identifie les grandes orientations de la réforme :

– assurer auprès des personnes fragilisées par le grand âge la présence suffisante de professionnels qualifiés, fiers de leurs métiers, dans une relation d’accompagnement non seulement technique mais aussi humaine ;

– simplifier le système d’accompagnement et de soin de la personne âgée ;

– opérer un changement profond du modèle d’accompagnement ;

– améliorer la lisibilité des prestations concernant la prise en charge financière de la perte d’autonomie et les rendre plus justes ;

– augmenter l’investissement dans la prévention de la perte d’autonomie ;

– permettre à la personne âgée de rester citoyenne en adaptant son cadre de vie à ses fragilités, en soutenant les solidarités de proximité, à commencer par la présence des proches aidants.

Pour répondre à ces enjeux, le rapport formule 175 propositions, dont certaines sont particulièrement structurantes :

– création d’un réseau de Maisons des aînés et des aidants sur l’ensemble du territoire national ;

– lancement d’un plan national pour les métiers du grand âge ;

– financement d’une hausse des effectifs en établissement, à travers une augmentation de 25 % du taux d’encadrement en EHPAD d’ici 2024 (hausse de 13 ETP pour 100 résidents par rapport à 2015);

–  effort financier de 550 millions d’€ d’ici 2024 en faveur des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) et une réforme des modalités de tarification. Cet effort financier doit permettre une revalorisation salariale pour les métiers du domicile ;

– tendre vers « zéro passage aux urgences évitables » des personnes âgées à l’hôpital ;

– création d’un fonds d’accompagnement à la restructuration de l’offre médico-sociale doté de 150 M€ par an, permettant notamment de développer l’accueil temporaire et les accueils de jour et d’ouvrir les établissements sur leur territoire de proximité ;

– création d’un « fonds qualité » doté de 150 M€ par an pour financer les actions relatives à la qualité de vie au travail, à la prévention ou à la formation préalable à l’obtention de labels ;

– lancement d’un plan de rénovation des établissements de 3 Mds € sur dix ans, en particulier pour les établissements publics ;

– création d’un nouveau statut pour les établissements territoriaux pour personnes âgées, qui conduirait à un changement de nom des EHPAD au profit des « Maisons du grand âge », ou des « Maisons médicalisées des séniors » ;

– création d’une nouvelle « prestation autonomie », qui remplacerait l’APA à domicile. Elle serait organisée en 3 volets (aides humaines, aides techniques, répit et accueil temporaire) afin de faciliter l’accès aux solutions de répit ou d’accueil temporaire et aux aides techniques ;

–  baisse sensible du reste à charge en établissement pour les personnes dont les revenus se situent entre 1 000 et 1 600 € par mois, grâce à la création d’une nouvelle allocation (baisse de 300 € du reste à charge) ;

– mise en place d’un « bouclier autonomie » qui annulerait le reste à charge au-delà de 4 années pour tous les résidents en situation de perte d’autonomie lourde ;

– indemnisation du congé de proche aidant sous forme d’allocation journalière versée au salarié proche aidant ;

Ces propositions présentent un coût, mais constituent également un investissement, notamment par une prévention plus active, une coordination des acteurs plus forte limitant les hospitalisations évitables, et la mise en emploi de personnes en parcours d’insertion ou de demandeurs d’emploi. Le rapport privilégie un financement public et ne retient pas la solution de l’assurance privée complémentaire obligatoire.