Tribune signée par Elisabeth Toutut-Picard sur l’accès au Tibet et publiée sur le site https://www.nouvelobs.com/

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Vous trouverez ci-dessous, une version française de la tribune signée par Elisabeth Toutut-Picard et qui a été publiée ce jour par le magazine français l’OBS.

La tribune est également disponible en cliquant sur le lien suivant : https://www.nouvelobs.com/monde/20190311.OBS1496/tribune-des-parlementaires-de-l-union-europeenne-reclament-un-acces-libre-au-tibet.html?fbclid=IwAR3o1K9YyK-9ppWR7X6Tu6nc1rFzUqQy3EUolVMIfRmoVvs76iBmcGfK67c

TRIBUNE. Des parlementaires de l’Union Européenne réclament un accès libre au Tibet

TRIBUNE. Des parlementaires de l’Union Européenne réclament un accès libre au Tibet
Des activistes et des moines tibétains en exil lors d’une manifestation commémorant l’anniversaire du soulèvement tibétain contre le pouvoir chinois en 1959, près de l’ambassade de Chine à New Delhi, le 12 mars 2019. (Prakash SINGH / AFP)

Soixante ans après le soulèvement tibétain de 1959 qui s’était soldé par la fuite du Dalaï-lama, des parlementaires européens exigent pour leurs concitoyens un accès libre au Tibet.

Par L’Obs

Dimanche 10 mars, des milliers de Tibétains et des militants de la cause tibétaine se sont réunis au cœur de la capitale de l’Union européenne, à Bruxelles, pour marquer le soixantième anniversaire du soulèvement tibétain, qui s’était soldé en 1959 par la fuite du Dalaï-lama, lequel depuis vit en exil. La situation au Tibet reste critique soixante ans plus tard, et il est donc grand temps que l’Europe exige un accès libre à la région pour ses citoyens, afin de promouvoir le respect des valeurs européennes et d’instituer une relation plus équilibrée avec la Chine.

Il semblerait que nous soyons moins sensibilisés qu’avant aux souffrances que continue d’endurer le peuple tibétain sous le joug chinois – lesquelles s’illustrent notamment par le décès tragique de plus de 150 Tibétains qui se sont immolés par le feu depuis 2009. Ce manque de sensibilisation peut largement être imputé aux efforts déployés par le gouvernement chinois pour empêcher que ses graves violations des droits de l’homme au Tibet soient révélées à l’étranger. C’est pour cette raison que les autorités chinoises contrôlent rigoureusement l’accès au territoire.

Répression

A l’heure actuelle, les étrangers, y compris les citoyens de l’UE, doivent demander une série d’autorisations spéciales et de permis en plus de leur visa chinois pour se rendre dans la Région autonome du Tibet (RAT), qui recouvre environ la moitié du territoire tibétain. Ceux qui parviennent à s’y rendre sont tenus de suivre un guide désigné par le gouvernement. Pendant les périodes sensibles sur le plan politique – telles que celle de l’anniversaire du soulèvement tibétain ce mois-ci – la RAT est totalement fermée aux étrangers. Ces bouclages sont régulièrement imposés depuis les manifestations, pour la plupart pacifiques, qui avaient été organisées sur le plateau tibétain en amont des Jeux olympiques de Pékin.

Les diplomates, les parlementaires et les journalistes étrangers, et même les représentants de l’ONU, ne sont quasiment jamais autorisés à se rendre dans la région, sauf à l’occasion de rares visites officielles savamment orchestrées par les autorités chinoises. Dans le même temps, les Tibétains ne peuvent bien souvent pas voyager en dehors de la Chine, et ceux qui font passer des informations à l’étranger sont sévèrement punis. L’exemple de Tashi Wangchuk est éloquent. Ce jeune militant a été condamné à cinq ans de prison l’année dernière pour avoir donné une interview au « New York Times » à propos de son action en faveur de la protection de la langue maternelle des Tibétains.

Rien à cacher, vraiment ?

L’isolement du Tibet soulève naturellement des questions sur la crédibilité du gouvernement chinois lorsqu’il s’agit d’évaluer la situation sur le terrain. S’il n’y a rien à cacher au Tibet, pourquoi la Chine nous empêche-t-elle depuis des années de nous y rendre librement et de nous faire notre propre idée de ce qui s’y passe ?

L’intransigeance de la Chine révèle également un dangereux manque de réciprocité dans la relation qu’elle entretient avec l’Europe. Et ce manque de réciprocité pourrait à terme mettre en péril nos droits et nos démocraties.

Alors que les Européens sont confrontés à des restrictions massives lorsqu’ils souhaitent se rendre au Tibet, il n’en va pas de même pour les citoyens chinois, qui sont libres de circuler toute l’année sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. De plus, la Chine n’hésite pas à tirer parti de cette liberté pour influencer nos perceptions, y compris sur le Tibet.

Par exemple, cela fait plusieurs années qu’un nombre croissant de délégations officielles chinoises sont envoyées en Europe, où elles propagent le discours officiel de Pékin sur le Tibet et d’autres sujets sensibles. Par ailleurs, si les journalistes des médias d’Etat chinois peuvent aller et venir en Europe — et utiliser cette liberté pour nous inonder de leur propagande — les journalistes européens qui souhaitent couvrir la Chine et le Tibet sont quant à eux confrontés à d’immenses difficultés, dont des procédures d’expulsion et des manœuvres d’intimidation.

Selon la Foreign Correspondent Association, il est plus facile pour les journalistes basés à Pékin de se rendre en Corée du Nord qu’au Tibet. C’est dans ce contexte que la journaliste française Ursula Gauthier a été expulsée de Chine en 2015, en raison de son reportage au Xinjiang, où au moins un million d’Ouïghours sont détenus au sein de « camps de rééducation ». Même des journalistes basés en Europe auraient subi des pressions des autorités chinoises.

Exiger l’accès au Tibet

Malheureusement, ces restrictions sont encore plus sévères pour les citoyens européens d’origine tibétaine, dont beaucoup sont des réfugiés qui ont fui le Tibet. Ils sont victimes de discrimination de la part des ambassades et des consulats chinois lorsqu’ils introduisent une demande de titre de voyage. Par ces manœuvres cruelles, le pouvoir chinois les empêche de rendre visite aux membres de leur famille, qu’ils n’ont bien souvent plus vus depuis très longtemps.

Depuis quelques mois, les dirigeants européens sont de plus en plus nombreux à réclamer une plus grande réciprocité dans leur relation avec la Chine, principalement dans les domaines du commerce et de l’accès aux marchés pour les entreprises et les investissements étrangers. Mais l’autre dimension de ce manque de réciprocité est que les autorités chinoises profitent de nos libertés – des libertés qu’elles n’appliquent pas dans leur pays – tout en continuant à opprimer le peuple tibétain en toute impunité et à discriminer les citoyens de l’UE. Nos gouvernements démocratiques ne devraient pas tolérer cette situation.

Conscients de ce problème, les Etats-Unis ont adopté en décembre 2018 le Reciprocal Access to Tibet Act (loi sur l’accès réciproque au Tibet), qui promeut l’accès aux régions tibétaines pour les diplomates, les journalistes et les citoyens ordinaires américains, afin qu’ils puissent jouir des mêmes droits que les ressortissants chinois, qui peuvent circuler librement aux États-Unis. Même si la Chine s’est prononcée contre cette loi, il semblerait qu’elle ait déjà eu un impact. Les médias d’État chinois ont en effet fait savoir que Pékin avait décidé d’accélérer la procédure prévue pour la délivrance de permis aux touristes étrangers souhaitant se rendre au Tibet. Dans son dernier rapport en date sur les relations entre l’UE et la Chine, le Parlement européen recommande lui aussi une plus grande réciprocité dans tous les domaines de coopération, et il appelle à un accès libre au Tibet pour les citoyens de l’UE.

C’est désormais à nous, Européens, qu’il incombe de trouver des moyens concrets de rééquilibrer notre relation avec la Chine, non seulement dans le domaine commercial, mais aussi dans celui du respect de droits fondamentaux, tels que la liberté de mouvement et la liberté de la presse. Exiger l’accès au Tibet devrait constituer une première étape concrète dans cette direction. Notre inaction empêcherait non seulement le peuple tibétain d’obtenir justice, mais elle donnerait également le feu vert à la Chine pour continuer de manipuler nos sociétés et, à terme, restreindre les droits et les libertés qui constituent les fondements mêmes de nos démocraties.

Liste des cosignataires

Membres du Parlement européen

Klaus BUCHNER, Fabio Massimo CASTALDO, Lidia Joanna GERINGER de OEDENBERG, Nathalie GRIESBECK, Tunne KELAM, Thomas MANN, Cristian Dan PREDA, Molly SCOTT CATO, Csaba SÓGOR, László TOKÉS

Membres de Parlements nationaux

Michel RAISON (France), Michel AMIEL (France), Maurice ANTISTE (France), Guillaume ARNELL (France), Annick BILLON (France), Michael BRAND (Allemagne), Margareta CEDERFELT (Suède), Georges DALLEMAGNE (Belgique), Jean-Pierre DECOOL (France), Jacqueline EUSTACHE-BRINIO (France), Rémy FERAUD (France), Bernard FOURNIER (France), André GATTOLIN (France), Pascale GRUNY (France), Sophie JOISSAINS (France), Bernard JOMIER (France), Maria KLEIN-SCHMEINK (Allemagne), Elisabeth LAMURE (France), Chris LAW (Royaume-Uni), Karen LEE (Royaume-Uni), Jean-François LONGEOT (France), Tim LOUGHTON (Royaume-Uni), Kerry MCCARTHY (Royaume-Uni), Patricia MORHET-RICHAUD (France), Elisabeth TOUTUT-PICARD (France)

Les intertitres sont de la rédaction